Homélie de l’Assomption 15 août 2017 par le frère Jean-Gabriel

Enregistrement sonore :

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Texte :

La fête de l’Assomption nous montre Marie déjà ressuscitée, corps et âme, dans cette vie éternellle où elle nous précède, et qui constitue notre ultime et véritable patrie.

Marie, chef d’oeuvre de la grâce, à qui nous pouvons désormais donner tous ces titres de gloire : Nouvelle Eve, Porte et Reine du Ciel, Immaculée et Mère des Vivants.

Marie est tout cela, certes. Mais il y a plus encore; car aujourd’hui, dans le mystère que nous célébrons, l’Eglise nous invite aussi à contempler notre propre mystère, notre propre destinée. Oui, Marie est notre Mère dans l’ordre de la grâce, mais elle est aussi notre soeur, toute proche de nous pour nous guider vers le Ciel, notre véritable patrie.

Car Marie est toute relative à Jésus, le Verbe éternel qui a voulu assumer notre nature humaine, c’est à dire qu’il a voulu élever, lui donnant un rang qu’elle n’avait pas auparavant, comme le dit si bien le Concile : “Parce qu’en lui (le Verbe incarné) la nature humaine a été assumée, non absorbée, par le fait même, cette nature a été élevée en nous aussi à une dignité sans égale. Car par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme” (LG).

Voilà la toute première et essentielle assomption, de laquelle découle, pour Marie, comme pour nous, le mystère que nous célébrons aujourd’hui. Parce que Marie a été totalement assumée par l’Esprit Saint en tout son être, corps, âme et esprit, l’Eglise ose proclamer aujourd’hui “qu’ayant accompli le cours de sa vie terrestre, elle fut élevée corps et âme à la gloire du Ciel et exaltée par le Seigneur comme la Reine de l’univers pour être ainisi plus conforme à son Fils, Seigneur des Seigneurs, victorieux du péché et de la mort” (LG 59).

Ce dogme de l’Assomption, promulguée le 1er novembre 1950 par le pape Pie XII, ne vise donc pas seulement à magnifier Marie pour elle-même, mais à découvrir l’oeuvre de la grâce qu’elle ne cesse de chanter dans son Magnificat : “Le Seigneur fit pour moi des merveilles”. Surtout, elle nous permet d’anticiper ce qui nous attend tous, ce à quoi nous sommes tous promis, depuis notre baptême. Au-delà de la résurrection de la plus éminente des créatures humaines, c’est notre propre résurrection qui nous est rappelée aujourd’hui; nous fêtons en effet, dans l’Assomption de Marie, l’Espérance de toute l’Eglise d’avoir part à la résurrection de la chair. L’Eglise nous invite à croire fermement que, par la puissance de la résurrection du Christ, qui a assumé pleinement notre nature humaine, nous aussi sortirons victorieux de la mort pour entrer, comme Marie, dans la vraie vie du Ciel. L’espérance chrétienne est donc bien éloignée de toutes ces pseudo-spiritualités qui nous parlent de karmas antérieurs et de ré-incarnation.

Nous croyons, comme nous l’affirmons dans la récitation du Credo, à la résurrection de la chair, tout simplement parce que le Christ est ressuscité des morts et nous invite à ressusciter avec Lui pour une vie éternelle.

Cette vie éternelle nous est promise en plénitude dans la gloire du Ciel, notre véritable patrie. “Nous ne devrions donner le nom de vie qu’à celle qui ne finit pas” disait THÉRÈSE.

Non pas pour minimiser ou encore moins mépriser notre vie d’ici-bas, mais pour l’ordonner toute entière à celle qui ne finit pas; Thérèse ajoutait : “la vie c’est un trésor… chaque instant c’est une éternité, une éternité de joie pour le ciel, une éternité de voir Dieu face à face, de n’être qu’un avec lui” (Lt 96).

Oui, cette vie est un trésor dès lors que nous comprenons qu’elle est suspendue à l’éternité de Dieu dont elle est comme le signe tangible qui nous donne de l’entrevoir, déjà présente, comme à l’obscur, au cœur du temps.

Nous avons à découvrir, en chaque instant, l’espérance de l’éternité, du Ciel, sans laquelle la vie serait dépourvue de sens, absurde, comme tous les existentialistes modernes n’ont cessé de le proclamer sur tous les tons!

La vie n’est pas close sur elle-même, elle n’est pas absurde pour la foi chrétienne qui la place dans la perspective du Ciel, toute relative à cette éternité de joie que Dieu promet!

Il nous faut regarder toute chose sous cette instance d’éternité : nous avons raison de croire à une vie après la mort, mais il nous faut croire aussi à une vie avant la mort! Longtemps les chrétiens, sous couvert de l’espérance du Ciel, ont déserté la vie de la terre et les préoccupations du monde. Mais si cette vie humaine est l’anti-chambre de l’éternité, cela ne veut pas dire qu’elle n’ait pas de valeur, bien au contraire : l’éternité est déjà commencée dans le temps, elle doit informer toute notre vie d’homme et lui donner tous les moyens pour qu’elle soit “une vivante offrande à la louange de la gloire de Dieu”, comme nous le demandons dans une prière eucharistique.

Il nous faut cultiver l’Espérance, pour nous-mêmes et pour tous les autres. L’espérance est un don qui m’assure que Dieu veut me donner sa grâce en ce monde et sa gloire dans le monde à venir. Dieu est fidèle : il me jette l’ancre de l’Espérance pour que j’arrime mon coeur au ciel et que je vive de cette vie éternelle déjà commencée dans le temps et dans le monde où il me donne de vivre. Ce temps et ce monde est le temps où Dieu me demande de vivre et de témoigner de lui. Il n’y en a pas d’autre, et il serait vain que la nostalgie du temps passé nous serve d’alibi pour ne pas nous investir dans le monde, comme il serait illusoire de nous projeter dans une apocalypse imminente qui nous donnerait les mêmes raisons de nous désinvestir de ce monde…

“On retrouve le Ciel en même temps que l’on retrouve la Terre, parce que la Terre est l’œuvre du Ciel, et son chemin. » écrit Fabrice Hajadj dans L’aubaine d’être né en ce temps, un petit ouvrage que je vous recommande. Et il explique que “c’est notre manière de voir le monde tel qu’il nous est donné qui est en jeu, et selon un rapport qui ne se réduit pas à une logistique de la solution, mais qui commence par une logique de la célébration… »

Oui, frères et soeurs, en fait le Ciel nous ramène à notre terre! Il s’agit, pour nous chrétiens, de savoir lire les signes des temps, non pas pour nous ériger en prophètes de malheur, mais en célébrant la vie pour ce qu’elle est : un don de Dieu que nous devons faire fructifier, dont nous sommes responsables. Dieu nous invite plus que jamais à la contemplation : contempler, c’est découvrir au coeur du temps l’éternité déjà promise. Et l’écologie ne sera véritable que si elle est humaine et intégrale ; autrement dit si elle s’appuie sur “la contemplation d’un ordre naturel donné, et donc, si elle suppose, ultimement, la remontée vers un Créateur de cet ordre” (ibid.).

Notre créateur est aussi notre rédempteur. Notre Seigneur est aussi notre frère en humanité. Tels sont les paradoxes de notre foi : allier la toute-puissance divine avec son extrême proximité; la sainteté avec son infinie miséricorde! La terre avec le ciel!

En cette fête de l’Assomption, le Seigneur nous demande de prendre chacun notre part de grâce et notre part de tâche pour l’édification du royaume des cieux, un royaume, vous l’avez bien compris, qui commence, ici et maintenant, dès lors qu’on est assez pauvres pour l’accueillir en son coeur!

Heureux les pauvres de coeur, le royaume des cieux est à eux!

Marie, en son Magnificat, ne cesse de chanter cette béatitude : le bonheur de ceux qui n’ont rien par eux-mêmes, mais qui reçoivent tout de Dieu pour que toute leur vie soit un acte d’offrande à la miséricorde divine, toujours à l’oeuvre dans le monde:

“Je suis avec vous tous jours, nous dit Jésus lui-même, jusqu’à la fin des temps”…

(Le Broussey, 15/08/16)