Homélie dimanche 23 juillet 2017

Enregistrement sonore :

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Texte :

Il nous est plus facile et plus sécurisant de classer vite ce qui est bon grain et ivraie

Nous aimons bien avoir des repères clairs et sûrs, sécuritaires, avec ce qui est blanc ou noir.

Il y a les bons et les méchants, les performants et les incapables, les bons chrétiens et les mauvais païens, les fidèles et les infidèles, etc.

Mais voilà que Jésus dérange, car il déplace le critère de discernement

Ne peut se contenter du blanc et noir, Jésus n’a pas peur du « gris de la vie », il n’est pas dans l’abstraction mais la réalité de la vie

Tout son comportement bouleverse les critères pré établis : les prostituées précèdent les grands prêtres et les anciens, Jésus n’a trouvé en personne en Israël une foi comme celle du centurion païen, il est venu appeler non pas les justes mais les pécheurs, ce qui souille l’homme n’est pas ce qui entre dans sa bouche mais ce qui sort de sa bouche, etc.

Jésus invite par la parabole du bon grain et de l’ivraie à un discernement à l’image de toute sa vie

Et il nous bouscule :

L’ivraie et le bon grain peuvent se confondre pendant la croissance et risque d’arracher le bon grain aussi ! Nos critères ne sont pas les critères de discernement du Seigneur !
On ne peut présager de la moisson finale avant l’heure
Ainsi, nous sommes invités à éviter 3 tentations

Tentation du perfectionnisme
Tentation de la désespérance
Tentation du jugement prématuré
La tentation du perfectionnisme
Nous rêvons d’un champ avec uniquement du bon grain sans une ombre d’ivraie : premier réflexe des serviteurs quand ils voient le grain pousser

Difficile d’accepter que le bon grain et l’ivraie se côtoient dans un même champ, celui de notre vie et de la vie de ceux qui nous entourent

Mais nous confondons souvent perfection et sainteté, par manque de discernement entre critères humains et critères divins

Pas champ parfait selon nos critères humains, mais laisser le bon grain parvenir à maturité

Et pour cela il doit accepter de pourrir en terre, de mourir pour porter du fruit sans avoir peur de l’ivraie qui l’entoure et parfois paraît le menacer

Nous ne parviendrons pas à un champ qui porte du fruit en arrachant l’ivraie au fur et à mesure

Elle repousse de plus belle !

Mais au contraire en reconnaissant la présence de cette ivraie pour nous confier à l’œuvre de la grâce

Car c’est bien la grâce seule qui peut permettre au champ de porter du fruit avec une abondance de bon grain

Nous ne recherchons pas une perfection humaine en combattant toute ivraie, l’attention du cœur ne doit pas être sur l’ivraie mais sur la grâce à l’œuvre jusque dans l’ivraie et peut être encore plus dans l’ivraie !

Car la grâce donne toute sa mesure dans notre faiblesse, pourvu que nous acceptions de reconnaître notre pauvreté, de consentir à rester pauvre et sans force, voilà le difficile, accepter de se confier à la grâce !

La conversion que Jésus nous propose est de ne pas rechercher une perfection combattant toute ivraie mais une confiance totale et une docilité permanente à l’œuvre de la grâce qui seule peut faire porter du fruit.

C’est donc non pas s’effrayer de l’ivraie mais savoir reconnaître le bon grain, s’en émerveiller, faire confiance à la grâce à l’œuvre. Ce qui nous sauve ce n’est pas nos efforts déployés contre toute ivraie mais de nous plonger dans la grâce à l’œuvre jusque dans notre misère

Pape François : « Dieu regarde, dans le «champ» de la vie de chacun avec patience et miséricorde: il voit beaucoup mieux que nous la saleté et le mal, mais il voit aussi les germes du bien et il attend avec confiance qu’ils mûrissent ».

Seigneur nous éduque à la confiance à la grâce plutôt que de nous effrayer de l’ivraie

EG 24 Il prend soin du grain et ne perd pas la paix à cause de l’ivraie. Le semeur, quand il voit poindre l’ivraie parmi le grain n’a pas de réactions plaintives ni alarmistes. Il trouve le moyen pour faire en sorte que la Parole s’incarne dans une situation concrète et donne des fruits de vie nouvelle, bien qu’apparemment ceux-ci soient imparfaits et inachevés.

Elisabeth nous invite à cette confiance en l’œuvre de la grâce jusque dans nos misères, à réagir non pas en arrachant l’ivraie mais en nous plongeant dans la grâce du Sauveur !

L 249 ne vous laissez jamais abattre par la pensée de vos misères. Le grand saint Paul dit: «Où le péché abonde, la grâce surabonde 6.» Il me semble que l’âme la plus faible, même la plus coupable, est celle qui a le plus lieu d’espérer, et cet acte qu’elle fait pour s’oublier et se jeter dans les bras de Dieu le glorifie et lui donne plus de joie que tous les retours sur elle-même et tous les examens, qui la font vivre avec ses infirmités, tandis qu’elle possède au centre d’elle-même un Sauveur qui veut à toute minute la purifier.

Tentation de la désespérance
Les serviteurs de la parabole sont focalisés sur l’ivraie, ils ne voient plus que l’ivraie dans le champ

Cela nous interroge sur la capacité à discerner le bon grain

Et cela sur la durée

Car les serviteurs sont impatients, tandis que le Maître est patient, il est prêt à attendre longtemps

Souvent dans nos vies, la désespérance vient de l’impatience

Tandis que la patience nous ouvre là l’espérance

Il y a là une opposition forte dans cette parabole pour nous interpeller sur notre critère de discernement, sur notre patience et notre espérance en l’œuvre de la grâce

L’impatience des serviteurs les fait sortir de la miséricorde, ils jugent immédiatement

La patience du maître est une confiance pleine de miséricorde qui féconde le champ en quelque sorte

Invitation à entrer dans cette longue patience de Dieu vis-à-vis de nous-mêmes, vis-à-vis des autres…

Invitation à relire le chemin de notre vie religieuse, sacerdotale, conjugale, parentale, avec cette patience et cette confiance pleine de miséricorde.

Pape François : « Le remède que Dieu offre au peuple vaut aussi, en particulier, pour les époux qui “ne supportent pas le chemin” et sont mordus par les tentations du découragement, de l’infidélité, de la régression, de l’abandon… À eux aussi, Dieu le Père donne son Fils Jésus, non pour les condamner, mais pour les sauver: s’ils se confient à Lui, il les guérit par l’amour miséricordieux qui surgit de sa croix, par la force d’une grâce qui régénère et remet en chemin, sur la route de la vie conjugale et familiale ».

La première vertu du cultivateur : la patience !

Et c’est là la meilleure façon de lutter contre le découragement : savoir contempler la patience de Dieu avec nous et sa fidélité, pour en vivre à notre tour vis-à-vis de nous-mêmes et des autres.

Pape François : « Je voudrais bien souligner cela : des hommes patients ! On dit que le cardinal Siri avait l’habitude de répéter : « Les vertus d’un évêque sont au nombre de cinq : la première la patience, la deuxième la patience, la troisième la patience, la quatrième la patience et la dernière la patience à l’égard de ceux qui nous invitent à avoir de la patience ». »

Elisabeth est claire sur l’importance de cette patience sans désespérer, comme une clé pour que le bon grain mûrisse malgré l’ivraie :

« Si votre nature est un sujet de combat, un champ de bataille, oh, ne vous découragez pas, ne vous attristez pas. Je dirais volontiers: aimez votre misère, car c’est sur elle que Dieu exerce sa miséricorde, et lorsque sa vue vous jette dans la tristesse qui vous replie sur vous, cela, c’est de l’amour-propre! Aux heures de défaillance, allez vous réfugier sous la prière de votre Maître; oui, petite sœur, sur sa Croix Il vous voyait, Il priait pour vous, et cette prière est éternellement vivante et présente devant son Père; c’est elle qui vous sauvera de vos misères. Plus vous sentez votre faiblesse, plus votre confiance doit grandir, car c’est à Lui seul que vous vous appuyez. Ne croyez donc pas qu’Il ne vous prendra pas pour cela; c’est une grosse tentation » (L 324).

Tentation du jugement prématuré
Enfin, la troisième tentation des serviteurs, c’est de prendre la place du Maître :

C’est le Maître qui dit aux moissonneurs au temps de la récolte de faire le tri

Mais les serviteurs veulent faire le tri auparavant !

Tentation du jugement prématuré, de vouloir trier à la place de Dieu, au lieu de tout laisser entre les mains de Dieu pour qu’Il fasse ce discernement au temps voulu et lui-même.

Jésus explique bien par la suite que la parabole fait justement allusion au temps du jugement qui viendra plus tard et qui n’est pas à anticiper, pour séparer le bon grain de l’ivraie

Lui-même déclare : Moi, je ne juge personne, qu’Il est venu pour sauver et non condamner, que le jugement appartient au Père…

Tentation du jugement à combattre par l’abandon filial qui s’en remet au Père plutôt que de vouloir faire le tri soi-même.

Souvent ce que nous voyons comme raté, mauvais, est peut être en fait l’œuvre de la grâce en nos cœurs pour nous rapprocher encore plus de la miséricorde, heureuse faute qui nous valut un tel Rédempteur !

Ainsi seul le Maître de la moisson peut faire ce discernement entre le bon grain et l’ivraie et nous invite à la confiance, à la remise de nous-mêmes à Lui plutôt qu’à vouloir faire prématurément le tri nous-mêmes.

La présence de l’ivraie devrait nous inciter non pas au tri mais à l’abandon confiant :

L 249 vos infirmités, vos fautes, tout ce qui vous trouble, c’est Lui, par ce contact continuel, qui veut vous en délivrer. N’a-t-Il pas dit: «Je ne suis pas venu pour juger, mais pour sauver 9.» Rien ne doit vous paraître un obstacle pour aller à Lui.

Et cet abandon confiant ne devrait pas nous faire craindre le tri final, puisqu’Il est venu nous sauver et non nous condamner.

L 263 je le supplie d’avoir pitié de vous et de vous mettre dans le coeur cette paix et cette confiance des enfants de Dieu. Il me semble que, si je voyais la mort, malgré toutes mes infidélités je m’abandonnerais entre les bras de mon Dieu comme l’enfant qui s’endort sur le coeur de sa mère: ce n’est pas autre chose, et Celui qui doit être notre Juge habite en nous, Il s’est fait le compagnon de notre pèlerinage pour nous aider à franchir le douloureux passage.

Parabole ivraie et bon grain nous provoque sur nos critères de discernement

Elle nous alerte sur 3 tentations :

Tentation du perfectionnisme : lutter en faisant confiance en l’œuvre de la grâce plutôt qu’en arrachant l’ivraie
Tentation de la désespérance : lutter par la patience du Seigneur pleine de miséricorde nous invitant à être patients à notre tour
Tentation du jugement prématuré : lutter en remettant le jugement au Seigneur et nous abandonnant à son discernement avec confiance
De même que le bon grain est capable de mûrir au milieu de l’ivraie, laissons nous surprendre par l’œuvre de la grâce en nos vies !