Homélie dimanche 10 septembre 2017 par le frère Moïse
Texte :
C’est un thème central de la Bible que celui de la responsabilité à l’égard du prochain, à l’égard du frère qui s’égare. Dans les pages que nous venons d’écouter, il semble significatif que notre vocation en Dieu, notre configuration au Christ, nous met dans une posture de responsabilité à l’égard des hommes. On n’est pas chrétien uniquement pour soi, pour son salut personnel, mais pour participer au grand projet de salut de Dieu pour le monde.
Cette responsabilité du croyant consiste en une mission de vérité et d’amour, qui exige un prophétisme courageux et un inlassable attachement à la paix, à l’unité. Notre méditation peut s’intituler : Le devoir d’avertir et de reprendre par et dans l’amour. Avertissement et reproche se présentent ici comme d’authentiques qualités du vrai amour soucieux du salut.
« Fils d’homme, je fais de toi un guetteur pour la maison d’Israël.» Le Seigneur nous établit guetteurs pour le monde, pour la société, afin d’alerter et d’avertir du danger qu’entrainent les choix et les modes de vie des hommes de notre temps. Le monde est en danger, s’écriait notre mère sainte Thérèse. Il faut de la vigilance pour démasquer les multiples menaces contre le véritable salut de l’homme. Notre vie et notre engagement de foi implique l’indispensable devoir de transmettre à la société les avertissements de Dieu et ses appels à la conversion. Mais faut-il encore que nous soyons nous-mêmes disposés à entendre la parole de Dieu. Et pour ne pas paraître ridiculement prétentieux, il nous faut un effort de conversion continuelle à la lumière de cette parole.
En effet, comment nous tenir sur la hauteur, en sentinelles vigilantes et guetteurs attentifs, si notre style de vie n’est pas ordonné par la Vérité de l’Évangile qui éclaire et éduque la conscience, le cœur, la pensée, les sentiments et les affections de l’homme. Oui sachons, frères et sœurs, que le monde nous voit plus qu’il ne nous écoute. Rappelons-nous ce que disait Gandhi : « Quand je lis l’Évangile, je veux être chrétien, mais quand je vois vivre les chrétiens, je préfère rester hindou. » Le véritable prophétisme chrétien se réalise par le témoignage d’une vie évangélique.
Ainsi, notre office de guetteurs ne consiste pas à accabler nos contemporains de critiques amères, à les assommer à coup de dénonciation sévères. Notre prophétisme est dans la fermeté de foi et d’espérance, nourrie d’une généreuse charité. Il s’agit d’alerter et d’avertir non pour condamner, mais pour sauver. Malgré l’égarement et la laideur morale de notre monde, nous sommes toujours invités à lui manifester de la sympathie sans complicité aucune. Car c’est ce monde que le Seigneur désir sauvé.
Comme Dieu qui ne désespère jamais de l’homme, le chrétien, sentinelle de sa société, porte l’espérance, il chercher à la susciter et à la maintenir chez les autres.
Il n’est pas un prophète de malheur. Il est capable de scruter l’horizon de l’histoire pour y déceler des lueurs et lire les signes d’espérance qui redonnent force et courage de survie à ceux qui ploient sous le poids de l’existence. Malgré l’indifférence, la surdité du monde face aux appels insistants de Dieu, nous avons à assurer notre office de guetteurs pour ne pas endosser la responsabilité de la perte des autres.
Dans l’évangile, l’exercice de cette responsabilité à l’égard de nos frères prend la forme de la correction fraternelle au sein de la communauté ecclésiale. Jésus nous recommande à ce sujet une démarche progressive de dialogue personnel, d’appel à témoin et de recours à la communauté. Cette progression dans le processus de correction fraternelle est d’abord une invitation à tout mettre en œuvre pour récupérer er ramener ceux qui s’égarent. Elle signifie ensuite sur le respect absolu fait de délicatesse et de discrétion qui doit prévaloir dans tout reproche. Cela implique beaucoup de patience, beaucoup de miséricorde, mais aussi de fermeté.
Il est important de toujours distinguer reproche et critique. Dieu fait des reproches, mais il ne critique ni ne diffame. Les reproches ont un sens constructifs, ils sont en vue du bien et de la croissance de l’autre alors que les critiques sont une auto-valorisation au dépend de l’honneur et de la dignité d’autrui.
Qu’est ce qui nous permet d’assurer de manière juste notre responsabilité à l’égard des autres ? “Frères, ne gardez aucune dette envers personne, sauf la dette de l’amour mutuel…” L’exercice de notre responsabilité faite d’avertissement et de correction fraternelle n’est vrai que dans l’amour. Seul l’amour et rien que l’amour peut motiver, justifier et authentifier de telles démarches. Sinon elles deviennent très rapidement des moyens d’autojustification et d’auto-valorisation dans l’égarement d’autrui.
Au fondement de la correction fraternelle et de l’avertissement prophétique, se trouve donc l’admirable commandement de l’amour : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Ce n’est que dans l’amour, dans la vérité de l’amour que nous sommes assez libres pour ne vouloir que du bien. C’est en ce degré de l’amour qu’est l’expression de notre maturité humaine et chrétienne qui nous engage de manière responsable dans le salut de nos frères.
Dans la dette de l’amour mutuel, notre devoir d’aimer passe avant notre droit à l’amour. En effet s’il « est une immense douleur que de ne pas être pas aimé, le vrai malheur c’est de ne pas aimer » nous dit Camus.
Puisse la communion de ce jour nous renouveler, frères et sœurs, dans ce dynamisme de la charité pour aimer en vérité avec courage et audace, pour avertir et reprendre dans l’amour, en raison de l’amour et par amour. Amen.