Homélie Messe de la Nuit de Noël 2017 – fr. Jean-Gabriel
Enregistrement audio
Mais enfin qu’est-ce qui va donc changer en cette nuit de Noël? Le monde va-t-il devenir meilleur? Être changé d’un coup de baguette magique, comme par enchantement? Plus d’angoisse, de peur, ni de violence? Le meilleur des mondes possibles?
Non, frères et sœurs, bien entendu. Nous savons que la venue de Dieu parmi nous ne va pas transformer subitement ce monde. Mais ce que nous devons croire, en cette nuit très sainte, c’est que Dieu pose un nouveau commencement à notre existence. En nous donnant son Fils Unique et bien Aimé, Dieu se manifeste dans une réalité accessible à chacun. Dès lors, l’homme est invité, lui, à changer. En effet, Dieu a décidé de naître parmi nous. Il renonce à sa puissance divine pour revêtir l’humble livrée de notre humanité! Frères et soeurs, c’est là la preuve de l’humilité de l’amour de Dieu, qui, pour chercher l’homme perdu, vient épouser sa condition humaine. Si cet enfant n’est pas Dieu, l’homme n’est pas vraiment sauvé! Mais l’inverse est vrai aussi : Si Dieu, en Jésus, n’est pas vraiment homme, l’homme ne sera pas sauvé non plus! En revêtant notre humanité, Dieu nous donne part à sa divinité. Dieu vient à nous pour se donner à qui veut l’accueillir; Dieu, en effet, ne veut pas nous sauver sans nous!
Pax hominibus bonæ voluntatis ! En cette nuit de Noël, si Dieu se fait l’un de nous, si Dieu ne se montre pas grand à nos yeux, s’il se fait tout proche de nous, c’est pour nous gagner librement à son amour. Ce commencement est là, dans ce petit enfant de la crèche, vulnérable, qui peut changer le cours de l’histoire; de mon histoire, dès lors que je l’accueille dans ma vie, comme un cadeau précieux qui peut changer ma vie!
L’athéisme contemporain avance souvent cette objection, légitime : comment croire en Dieu quand on voit tout le mal qu’il y a dans ce monde. Si Dieu existe, mais alors que fait-il?
Cette objection, pour valide qu’elle soit, n’en demeure pas moins tributaire d’une conception trop humaine de Dieu. On voudrait finalement voir en Dieu une sorte de Superman capable de faire cesser tous les conflits de la terre, sans tenir aucun compte de la liberté de l’homme. Mais tel n’est pas la manière de faire de Dieu.Toute l’Ecriture nous invite à comprendre que la liberté humaine est la condition même de l’alliance, que sans cette liberté, Dieu n’éprouverait aucune joie à nous créer; car alors cela reviendrait à créer des robots en série, tous formatés de la même manière, et qui ne se dirigeraient pas selon la volonté libre que le créateur à donné à tout homme pour qu’il réponde librement à l’amour qu’il Lui porte. Autrement dit, si Dieu nous a créés libres, c’est pour que nous puissions librement dire « oui » à son amour! Et ce, sans contrainte aucune, simplement en comprenant que Dieu est le vrai Bien de nos vies, que « Lui Seul est Bon”… C’est pour ce « oui » préférentiel et absolu à son amour que Dieu a créé des êtres capables aussi de se détourner radicalement de lui : en nous donnant son Fils, le Père veut nous gagner librement à son Amour, simplement en se montrant tel qu’il veut être, dans l’humilité inouie de ce petit enfant qui est comme le secret de toute sa vie divine… « C’est en l’enfant que Dieu est le plus visible, déclarait Benoît XVI dans une homélie de Noël : c’est sa façon d’aimer et d’être tout-puissant. » … Oui, quel mystère : Dieu manifeste pleinement sa puissance dans la faiblesse de ce petit enfant! C’est que la toute-puissance de Dieu est une toute-puissance d’amour qui veut nous attirer à lui par des liens d’amour! Quel prodige! Ce Dieu d’amour nous invite à l’aimer gratuitement, librement, comme Lui nous aime; un Dieu qui se révèle tel qu’il veut être. Non pas un Dieu jupitérien, mais un Dieu d’une grandeur tout autre que nos humaines grandeurs, que nos rêves d’ambition et de puissance. La grandeur de Dieu est celle de son amour. Ce n’est pas une grandeur comme la nôtre, une grandeur stérile qui ne sait que s’imposer et se replier sur elle-même en affirmant son pouvoir. Dieu manifeste son infinie sagesse en renonçant à la puissance, pour se montrer grand dans l’humilité et le dépouillement de son amour! Une grandeur infiniment humble! Et donc infiniment accessible, toute proche … si proche : celle d’un enfant! Parce qu’il nous aime, Dieu nous aime à sa manière, c’est-à-dire toute divine : d’un vrai amour, du plus vrai de tous les amours, du seul véritable amour : un amour qui ne capte pas, mais un amour qui se donne! Dieu nous aime en raison de son propre amour. Parce qu’il est, par tout lui-même, don, plénitude de don et de communion d’amour. Et parce qu’il est amour, il est aussi humilité : « Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu ». Dieu ne retient pas jalousement sa grandeur puisque sa grandeur est dans l’abaissement de son amour sans limite! De la crèche à la croix, c’est le même parcours, celui d’un Dieu qui nous invite à aller à Lui dans une compréhension de plus en plus profonde de sa vie intime où l’humilité et l’amour révèlent leur étroite parenté. Une vie intime à laquelle nous pouvons participer en progressant nous aussi par les voies de l’humilité, en nous libérant des liens de l’égoïsme, des durcissements de l’orgueil, en laissant l’expérience de notre pauvreté, de notre néant, creuser en nous peu à peu ce vide, ce détachement intérieur, cet effacement, cette désappropriation de nous-mêmes, pour nous ouvrir à l’humble amour du Christ Sauveur. Comme le disait saint Bernard, Y a-t-il en effet richesse plus précieuse que cette humilité qui nous permet de gagner le Royaume des cieux et d’acquérir la grâce divine ?(St Bernard)
Alors, frères et sœurs, en cette nuit très sainte où Dieu se donne à nous, avant de communier à sa vie intime dans le sacrement de l’eucharistie où il se fait là encore tout petit par amour pour nous, nous lui demanderons de savoir l’accueillir humblement, dans l’action de grâce pour son amour infini, nous lui demanderons de savoir répondre à son amour en lui donnant nous aussi tout notre consentement, tout notre cœur. Humblement, comme de pauvres pécheurs appelés au pardon, nous accueillerons, dans la pauvre crèche de notre cœur, Celui que les cieux ne peuvent contenir et dont la seule richesse est l’humble amour dont il nous aime.